J’aurais envie d’intituler mon homélie : Le risque de la foi…
Et j’ai envie de la commencer par cette histoire d’indien et de camion. Celle d’un missionnaire envoyé sur les terres indiennes annoncer Jésus Christ à des gens qui ne le connaissent pas. Le Missionnaire possède un vieux camion Dodge et il doit se rendre dans une dépendance de la mission à une bonne distance, par des routes qui n’ont de routes que le nom. Peu certain de parcourir la distance sans problèmes, le missionnaire a demandé à l’un de ses premiers disciples intéressés par le baptême de l’accompagner sur le chemin.
L’homme monte dans le camion, le visage impénétrable, le regard fixé sur la direction à prendre sans un mot, sans une émotion. Le prêtre démarre, et, comme il fait nuit noire, il allume les phares du véhicule qui éclairent au moins jusqu’à trente mètres la piste qui commence. Il respecte le silence de l’indien, alors que les premiers lacets mettent déjà le vieux camion à rude épreuve.
Comme l’indien se tait toujours le missionnaire en profite pour le catéchiser un peu, lui expliquant que la foi c’est écouter la Parole de Jésus, se laisser guider par elle, en choisir les exigences et aussi les valeurs.
L’indien se tait toujours alors que le prêtre fait appel à toutes ses connaissances théologiques et pédagogiques pour lui donner toutes les raisons de croire.
L’homme écoute toujours sans brocher, le regard fixé sur la piste qui se dévoile à chaque tour de roues avec ses pièges et ses dangers. On avance toujours mais lentement avec le risque de devoir s’arrêter si la piste le décide.
A la fin de son long monologue sur la foi, mélangeant les étapes de la vie du Christ, sa mort, sa résurrection et les grands témoins de tout cela, le prêtre se tait, regardant du coin de l’œil son copilote toujours aussi stoïque, avec le secret espoir de ne pas l’avoir endormi par son discours.

Alors que le jour commence à rayer l’horizon de sa lumière, le prêtre demande à l’indien ce qu’il a retenu et enfin, celui-ci répond :
« La foi, c’est comme notre voyage. Je ne sais pas très bien où nous allons, mais toi tu sais alors je t’ai fait confiance. Tu as voulu partir avec moi pour t’aider, mais je ne connais pas cette région, et encore moins la mécanique. Tu as pris ce vieux camion tout essoufflé mais tu lui fais confiance, tu penses qu’il pourra faire la traversée. Quand on a démarré, on n’y voyait pas à 3 mètres, mais tu as mis les phares et on a vu la piste jusqu’au premier virage. On a avancé et on a vu la piste jusque ‘au second virage et ainsi de suite. Et maintenant la lumière du soleil commence à nous montrer la route.
Je crois que la foi c’est pareil : Un chemin qui s’ouvre dont on ne sait pas bien ni où il va ni comment il va y aller, une personne en qui on a confiance, même si on sait qu’elle peut se tromper. Des étapes qui s’éclairent l’une après l’autre grâce à la lumière que nous portons avec nous, des pièges, des trous et des bosses qui pourraient toujours nous arrêter n’importe où, et puis la lumière du jour qui rassure.
Oui je crois que la foi c’est un peu comme ça. Tu m’as fait confiance, tu m’as parlé de ta foi, tu me l’as expliquée mais tu n’as pas compris que j’en étais encore au premier ou au second virage, et que je ne pouvais pas avancer plus vite pour croire. Tes phares, ta lumière m’a montré la route jusque-là, et j’attends que la lumière du soleil, me montre un jour les bout du chemin.»

Cette fois c’était le barbu en soutane blanche qui se taisait en réfléchissant à cette pédagogie de l’enseignant, mètre après mètre…
Le barbu en soutane blanche c’est peut-être vous, peut être moi quand nous voulons expliquer l’importance de la foi à nos enfants, à nos petits-enfants, avec la bonne volonté , mais aussi avec l’impatience du missionnaire qui n’envisage pas que la route est incertaine pour quelqu’un qui commence, qui ne se souvient pas ou ne connait pas les pièges et les fausses routes de l’actualité avec une époque tellement différente de la nôtre, avec des réseaux sociaux qui tournent en ridicule toute velléité de croire, avec une critique systématique de la religion avec une société qui voudrait faire des sur consommateurs ou bien des moutons, mais surtout pas des gens qui réfléchissent et cherchent du sens et du spirituel.
Avec des moyens aussi démodés que le camion du missionnaire : Moi, encore cette semaine, je me suis présenté devant des enfants avec des dessins mal finis, alors qu’eux utilisent des T.B.I. (Tableau Blanc Interactif), des ordinateurs, des QR-Code et tant d’autres instrument qui sont tellement loin de mes moyens et de vos moyens, à vous les parents, les grands parents qui voulez transmettre. 

Une certitude cependant : même si nous ne savons pas exactement si nous pourrons aller au bout, la meilleure façon de le savoir c’est de se mettre à avancer.
Avons-nous risqué de prendre la route ? Avons-nous tenté de parler de notre foi, de nos raisons de croire, du sens qu’elle apporte à notre vie ?
Parce que la foi c’est toujours un risque : Abraham, va, quitte ton pays, je ferai alliance avec toi. Regarde les étoiles et essaie de les compter ainsi sera ta descendance. La piste est encore plus dangereuse et incertaine que celle de l’indien.
Ou encore les Apôtres « Avance au large et jetez les filets, je ferai de vous des pécheurs d’homme » Ce n’est pas une promesse crédible ! Pêcheur d’homme ça n’est pas très rémunérateur.
Et encore la phrase de St Paul dans la deuxième lecture de ce jour : « Frères, nous avons notre citoyenneté dans les cieux, où nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ, lui qui transformera notre pauvre corps mortel en un corps glorieux »
Nous nous souvenons de St Thomas « Seigneur nous ne savons même pas où tu vas, comment pourrions-nous savoir le chemin ? ». Nous sommes les jumeaux de Thomas !
C’est ce que Pascal appelait le pari de la foi ! Et c’est sans doute une de nos principales questions aux jeunes générations, surtout quand elles sont affrontées aux difficiles et violentes questions de la mort : « Nous sommes appelés à la vie éternelle » Y croyons-nous assez pour en témoigner ?
Peut-être que, aujourd’hui nous pourrions relire, chez nous, à tête reposée le passage de cette lettre de St Paul.

Un autre atout dans notre volonté de transmettre : L’indien s’est mis en route, au propre comme au figuré, parce qu’il faisait confiance au missionnaire et nos jeunes nous font confiance, ils nous regardent, ils nous envient souvent et ça c’est important. Après, il nous faut prendre le temps de la traversée, jour après jour, étape après étape, l’arrivée au bout du chemin ne nous appartient pas.
Par contre il y a ce texte d’Evangile appelé la transfiguration : Cet extraordinaire moment de lumière pour Pierre Jacques et Jean, sur une traversée qui risque de les secouer durement dans quelques jours où ils seront les mêmes, au jardin des oliviers où l’homme Jésus fera place au Messie glorieux, ou la peur et les larmes feront place au rayonnement du ressuscité. ; Pierre voudrait bien être arrivé au bout de la route et y rester : « dressons ici trois tentes ! »
Hélas pour lui il faudra redescendre dans la réalité et l’affronter au risque de s’y perdre quand il dira « je jure que je ne connais pas cet homme », quand il désertera la prière au jardin des oliviers et la croix au Golgotha.
Pour nous aussi, pour notre propre foi, et pour épauler la foi de nos jeunes, il nous faut monter au Thabor, rechercher ces moments de lumière comme le petit jour éclairait l’espoir de l’indien .
Ce sera un temps fort, une retraite, une célébration particulière où Jésus pourra se manifester plus clairement, un sacrement, etc

Et encore ce ne sera pas la certitude d’avoir éveillé à la foi un nouveau croyant. Comme pour Pierre il pourra y avoir des reniements, des abandons. Mais la lumière sera là, comme le jour chasse la nuit, ce sera Pâques, aujourd’hui, demain, cette année ou plus tard, Dieu seul le sait car Lui seul donne la foi, il nous veut simplement disponibles sur le chemin, priants et confiants et patients.

Père Jo Valentin