Les textes de ce dimanche sont encore une fois très riches d’enseignements. Le passage de la genèse où l’on voit Dieu demander à Abraham de lui sacrifier son fils, son unique, celui que Dieu lui avait promis malgré son grand âge pourrait nous choquer si on croyait que notre Dieu peux ou aurait pu avoir des exigences aussi cruelles que celle de demander qu’un père lui offre son fils en sacrifice.
A l’époque d’Abraham, et même dans notre région, certains dieux païens exigeaient cette offrande, et ce n’est pas surprenant qu’Abraham ait eu cette tentation, heureusement dans l’histoire d’Abraham Dieu ne veut pas de cette offrande et se contentera de celle d’un bélier. Par contre, dans la deuxième lecture Saint Paul nous dit : « Dieu n’a pas épargné son propre fils, il l’a livré pour nous tous. Oui Dieu a pris le risque, en envoyant son fils chez les hommes, que ceux-ci le clouent sur une croix.

Notre Dieu ne veut pas de sacrifices humains, et même, depuis Jésus, il ne veut pas d’offrandes d’animaux. La seule offrande qui plaît à Dieu c’est l’offrande de son fils que nous renouvelons à chaque Eucharistie : Par Lui, avec Lui et en Lui, à Toi, Dieu le Père tout puissant, tout honneur et toute gloire ; c’est la conclusion de chaque offrande eucharistique.

Mais le texte de l’Evangile de ce jour nous interpelle encore davantage, c’est le texte de la transfiguration.

Jésus prend avec Lui trois de ses disciples les plus proches: Pierre jacques et Jean. C ‘est à eux, et à eux seuls dit le texte, que va être donné de vivre cette expérience unique : voir ce Jésus, qui est leur ami, leur proche, un homme comme eux, même s’il est prophète, transfiguré, éclatant de lumière « divine » pendant quelques instants.

Ce sont les trois mêmes qui seront mis à l’écart dans quelques jours, au jardin des oliviers. Je lis, toujours dans l’Evangile de St Marc ‘’Ils parvinrent à un jardin appelé Gethsémani et jésus dit à ses disciples, : « restez ici, tandis que je vais prier ». Puis il prend avec Lui Pierre Jacques et Jean et il commença à ressentir effroi et angoisse, il leur dit « mon âme est triste à mourir, Père, si c’est possible que cette coupe s’éloigne de moi » … mais il trouva ses disciples endormis. Ces trois-là vont être témoins de deux situations complètement opposées, l’éclat de la gloire dans la lumière du mont Thabor et l’humanité souffrante, dans la nuit de l’angoisse dans la sueur et les larmes, au jardin des Oliviers. Il y a bien entendu un lien très fort entre ces deux situations, le mont Thabor prépare la grande épreuve du Golgotha.

Jésus se présente à ses disciples sur la montagne (le mont Thabor, qui en fait de haute montagne, n’est pas plus haut que le Lisieux, on y accède aujourd’hui en véhicule 4/4 qui roulent à tombeau ouvert pour les pèlerins qui désirent retrouver ce lieu.) Mais le symbole est là : Dans la première lecture Abraham grimpe au mont Moriah pour offrir son fils Isaac ; on sait comment la loi a été donnée à Moïse au sommet du mont Sinaï ; c’est au mont Horeb que le prophète Elie découvre son Dieu, c’est au mont des béatitudes que Jésus résumera sa propre loi nouvelle. Comme pour nous dire que pour rencontrer Dieu il faut prendre un peu de hauteur, il faut se fatiguer un peu, il faut quitter sa tranquillité pour se mettre à l’écart, comme vous le faites chaque dimanche en vous dérangeant pour venir jusqu’à l’Église.
Nos contemporains ont peut-être un peu perdu cette habitude de se mettre à l’écart, de prendre de la hauteur, pour écouter une parole qui les dépasse. Avec les problèmes du virus, du confinement et les horaires des paroisses la tentation est bien grande de rester chez soi, bien tranquillement plutôt que de monter sur la montagne, ou au moins jusqu’à l’Eglise pour faire la rencontre.
Pourtant est ce que ce temps de rencontre avec le Seigneur de gloire, le Seigneur ressuscité, ne serait pas essentiel pour aborder le jour de l’épreuve comme au jardin des oliviers ?

Jésus parle avec Moïse et Elie, les deux piliers de l’ancien testament, sans doute pour nous dire qu’il y a continuité dans le plan de Dieu, pour nous dire que Jésus est bien celui dont les prophètes ont préparé la venue. La venue du Christ s’inscrit dans l’histoire d’un peuple qui a cheminé à la découverte de son Dieu pendant des siècles, avant d’arriver à la rencontre de Celui qui est la Parole incarnée. Les Apôtres ont besoin de savoir cela, de le comprendre, pour connaître qui est ce Jésus qui est venu croiser leurs routes.
Comme eux nous cheminons, sans toujours comprendre, sans toujours connaître qui est vraiment Jésus, nous ne le connaîtrons sans doute jamais parfaitement, sauf le jour où nous le verrons tel qu’il est nous dit St Jean, c’est-à-dire quand nous aurons fait nous aussi le grand passage.
Quelquefois, nous les prêtres ou les animatrices, ou les catéchistes, ou les parents, grands-parents ou tout autre personne qui a le souci de transmettre la foi, aimerions bien que cette foi soit évidente pour ces personnes à qui nous aimerions la partager, et nous sommes impatients. Dans ce texte Dieu nous donne un exemple de sa patience.
Combien de temps entre la foi chahutée d’Abraham, la loi de Moïse, la découverte mystique d’Elie jusqu’à cette révélation qui surprend les apôtres : « Celui-ci est mon fils bien aimé, écoutez-le ! » Et là encore c’est Dieu qui est à l’initiative, pas nous. Dieu se révèle, se fait connaître où et quand il veut, et il nous surprend parfois. Il nous faut donc tout faire pour préparer la rencontre, comme Pierre qui veut planter 3 tentes, mais il faut laisser l’initiative au Seigneur, sans nous impatienter : L’éternité c’est long !
D’ailleurs même Jésus ne connaîtra pas forcément le succès de son enseignement : on sait comment Pierre, pourtant ici ébloui de lumière, réagira devant l’arrestation : « je jure que je ne connais pas cet homme », ce n’est pas de la peur, c’est juste qu’il n’a rien compris à la vie donnée du Christ et je crois bien qu’au pied de la croix il n’y avait que Jean, sur les trois sélectionnés du Thabor.

Il y a bien dans ce texte tous les mots qui relatent un moment exceptionnel de rencontre entre Dieu et ces trois hommes : La lumière, le vêtement d’un blanc éblouissant, la nuée lumineuse… Tous les termes de l’ancien testament pour dire Dieu sont réunis et voilà que dorénavant on verra Dieu autrement, dans la vie, les gestes et les paroles d’un homme de même facture que nous : Jésus de Nazareth qui pourra dire : « Qui me voit voit le Père ». On comprend combien ce changement de perception de Dieu peut surprendre, désorienter ceux qui entendent ces mots : Celui-ci est mon fils bien aimé, écoutez-le.

Ce Dieu dont personne n’avait vu le visage, que personne ne pouvait décrire, voilà qu’il prend le corps et le visage d’un homme ! Quel changement dans la mentalité des gens ! On voit bien aujourd’hui comment certaines personnes ont de la peine à reconnaître la religion de leur enfance dans les rites et les manières de faire d’aujourd’hui, (tutoyer Dieu, prendre l’hostie dans la main, etc.… etc.…) imaginons le changement vécu par les apôtres. Ce Dieu infiniment grand, créateur et maître de toute chose, l’Eternel, Celui dont on ne pouvait même pas prononcer ou écrire le nom, ce Dieu a aujourd’hui visage d’homme, et demain corps et visage d’un supplicié ! Comment aujourd’hui comme hier, accepter que nous n’ayons pas tous la même perception de notre Dieu ? entre les rites liturgiques qui expriment une transcendance impressionnante et le visage du pauvre bougre dans lequel Dieu est présent, comment nous y retrouver ? Nous ne sommes pas les premiers à nous interroger, les trois témoins redescendent de la montagne en se demandant ce que veut dire « ressusciter d’entre les morts ». Nous non plus nous n’aurons jamais fini de contempler notre Dieu, avec nos faibles moyens, nos limites, nos caricatures, l’enseignement reçu. Il nous faut rester longtemps sur la montagne pour connaître un petit peu celui que nous sommes venus célébrer aujourd’hui.