De bon matin j’ai rencontré le train de trois grands rois qui partaient en voyage ….
Vous connaissez la suite !
C’était le matin, juste après les fêtes de l’an neuf, et il
n’y avait personne dans les rues : un peu le covid, un peu le
mauvais temps, un peu la fatigue après les fêtes, chacun était
resté au chaud dans sa maison.
J’ai vu ces trois hommes,
montés sur leurs drôles de chevaux à bosses, qui semblaient
chercher quelque chose …
J’avais l’impression de vivre un
conte éveillé, mais l’épiphanie, ça ressemble beaucoup à un
conte, ou à une parabole, enfin, ça ne fait pas tellement la
narration de faits réels.
Habillés et véhiculés comme ils étaient, malgré leurs masques, j’ai bien compris qu’ils n’étaient pas d’ici, ce ne sont pas des équipages très fréquents dans nos régions … des marchands peut être ?
Je les ai salués très poliment pour leur demander si je pouvais leur être utile. Je leur ai demandé : « vous devez venir de loin, vous n’êtes pas d’ici, vous ressemblez aux mages. Peut-être vendez-vous des brioches, des galettes ? Chez nous c’est bien l’époque. »
Ils ont souri pour me répondre : « non, non, nous ne mangeons pas de ce pain-là, on nous appelle des mages, mais nous sommes surtout des sages, des marcheurs à l’étoile des chercheurs de sens, des chercheurs de lumière ; en quête d’absolu, des chercheurs de Dieu.
Nous ne sommes pas les seuls, même ici il doit y avoir des gens comme nous ! ».
Le matin de bonne heure j’avais de la peine à comprendre, à cette heure-là les gens cherchent où trouver une boulangerie ouverte, ils n’ont pas des questions métaphysiques !
J’ai voulu leur faire remarquer que marcher à l’étoile, quand le jour est levé, ce n’est pas à la portée de tout le monde.
« Justement m’a dit l’un d’eux , tout homme a besoin de lumière pour se guider dans la vie, mais cette lumière est souvent relayée par des témoins, des parents, des grands parents, de clercs ou des laïcs. Pour se faire connaître Dieu a toujours voulu avoir besoin des hommes. Acceptez-vous de nous conduire au terme de notre voyage jusqu’à l’enfant dont on dit qu’Il est le Verbe de Dieu, la Parole de Dieu, la vraie lumière qui éclaire tout homme en venant dans ce monde ? »
Sans me prendre pour une lumière j’acceptais volontiers de servir de guide jusqu’à la crèche de mon église, curieux de connaître ce que ces trois voyageurs, à l’air pas très catholique, venaient faire ici.
Etrangement ils se sont prosternés devant l’enfant qui dormait dans les bras de sa douce mère Marie. D’habitude on ne se prosterne pas ainsi, devant personne, devant Dieu seul. Etait-ce pour me rappeler que l’enfant de la crèche est « l’Emmanuel », Dieu avec nous ? Sans doute, alors je me suis prosterné avec eux .
C’est vrai, on a tellement l’impression que l’enfant de Bethléem c’est le « petit Jésus » qu’on en oublie qu’il y a là le rappel de l’inouï : Dieu s’est fait petit enfant, Il est venu habiter chez nous !
Ces étrangers, païens, avaient plus de foi que moi, plus de transcendance que moi qui suis habitué à l’émotion de la crèche en oubliant parfois ce qu’elle indique du projet de Dieu sur l’humanité et sur moi.
« Il a pris chair de la vierge Marie et s’est fait homme » dit le crédo ; on parle aussi de l’incarnation, juste pour dire qu’on ne pourra plus imaginer Dieu, « celui qui par nature est invisible, s’est rendu visible à nos yeux »
Je n’étais pas au bout de mes surprises. Je m’attendais à ce qu’ils offrent des tapis, des couvertures, des bibelots, de ces choses prétendues artisanales, made in China, comme dans tous les lieux de pèlerinage, ou quelques vêtements de soie puisque justement ils venaient de l’orient. Mais que neni !
Le plus grand a sorti un sac d’encens et généreusement il m’a proposé d’en prendre un peu et de l’offrir moi aussi.
J’ai pensé un peu, mais pas trop fort, pour pas qu’il l’entende : « ce n’est que de la résine, que veux-tu qu’Il en fasse ? »
Mais il ajoutait : « l’encens c’est le parfum que l’on offre à Dieu. Ne dites-vous pas dans votre Bible au psaume 141 : « que ma prière monte devant Toi Seigneur comme la fumée de l’encens avec mon offrande du soir ? » l’encens c’est l’adoration, c’est la louange.
Où en es tu de ta louange, de ta prière gratuite, de ton adoration devant l’Eternel ?
Prends-tu seulement le temps de lui offrir ta journée, de t’arrêter un moment devant lui pour sortir de tes soucis. Lève les yeux et regarde, que serais tu sans Lui qui est la vie, le mouvement et l’être ?
Garde un peu d’encens pour ta prière de chaque jour.
L’autre sage, mage, je ne sais plus fouillait dans son sac et me partageait son offrande.
Alors là je voulais refuser tout court. De la Myrrhe ? Mais c’est le parfum des pompes funèbres, celui que l’on étale sur le corps des défunts. Jamais je n’oserais offrir ce présent à un enfant.
Mais il expliquait : « Tu vois, cet enfant a un destin unique et divin : Il est appelé à traverser la mort et à être le premier ressuscité, entraînant l’humanité toute entière dans sa victoire sur le mal et la mort. Cette myrrhe c’est l’annonce de cet autre mystère que l’on appelle la rédemption. Si Ce Jésus n’avait pas fait Pâques, on ne parlerait plus de lui depuis longtemps, ni de sa vie, ni de sa mort, ni de sa résurrection : la naissance et la mort de cet enfant sont complètement liées, comme dans notre vie à nous : appeler un enfant à la vie c’est savoir qu’il connaîtra aussi la mort, mais grâce à celui-ci, à Jésus, la mort est vaincue : Il est venu pour que nous ayons la vie et que nous l’ayons en abondance, comme lui, avec lui, pour toujours.
Moi il me faut du temps pour réfléchir un 2 Janvier à ces affirmations de mon credo où on dit tout à la suite : « est né de la vierge Marie, est mort et ressuscité le troisième jour » Cet enfant de la crèche, il porte tout ce plan de Dieu sur l’humanité et le mage me le disait avec ce cadeau surprenant.
Il ajoutait que j’avais de la chance de croire ainsi et il m’invitait à partager cette foi avec ceux qui connaissent le deuil et le scandale de la mort.
Mais déjà le plus grand des trois, un colosse couleur d’ébène, noir comme le charbon tendait vers l’enfant le cadeau des rois, le métal qui depuis toujours fait briller les yeux des rois et des manants. J’aurais aimé qu’il partage avec moi comme ses comparses mais il m’a dit « tu as de l’or dans les mains et plus encore dans le cœur :
C’est tout ce que tu fais pour que les hommes, depuis le service du frère, jusqu’au partage, jusqu’à l’accueil et tout le reste. Tu te souviens des paroles de Jésus quand il énumère ce que les gens peuvent faire de bien, il dit : Heureux, ! Le royaume des cieux est à eux.
Tu sais, des gens qui prient et qui apportent l’encens, il y en a, mais pas tant que ça, des gens qui croient à la résurrection et qui apportent la myrrhe, il y en a, mais pas tant que ça, mais des gens qui travaillent pour le royaume, avec leurs mains, avec leur cœur, avec leur intelligence, avec leur patience, leur bonne volonté, leur bienveillance, ils y en a énormément.
Ceux-là construisent le Royaume chaque jour. Ils ne savent pas forcément que c’est le royaume de Dieu, ils n’ont pas entendu que chaque fois qu’ils le font à l’un de ces petits, c’est à Dieu qu’ils le font, mais le Seigneur leur dit « c’est à moi que vous l’avez fait ». Alors toi aussi, travaille de tout ton cœur aux chantiers du Royaume et chaque fois que tu le peux, apporte toute cette vie, toute cette générosité, là devant la crèche, ou là, avec le pain, sur l’autel, c’est l’or du monde que tu offres à Dieu, plus précieux que celui que je viens de déposer. »
Moi ça m’a interpellé parce que je ne pense pas à offrir à Dieu le fruit de la terre et du travail des hommes, et souvent je viens à l’église les mains, l’esprit, le cœur un peu vides en oubliant d’offrir la vie du monde. Je vais essayer de m’en souvenir, de même que j’essaierai de présenter ma prière comme la fumée de l’encens de même que j’essaierai de partager ma foi en un Christ mort et ressuscité, la plus belle espérance..
Je pensais à cela quand ces trois visiteurs qui semblaient lire dans mes pensées ont conclu leur visite en disant :
« C’est bien, fais comme ça, alors tu partiras comme nous, par un autre chemin. Quand on vient à la crèche ou à la table, où à la croix, c’est toujours pareil, c’est une rencontre qui t’invite à repartir par un autre chemin. Au fait, bonne année, porte à ceux que tu aimes, un peu d’or de ta générosité, un peu d’encens de ta prière, un peu de myrrhe de ton espérance … ce sont trois merveilleux cadeaux à placer dans tes vœux.»
Père Jo Valentin