Les textes de ce dimanche sont en droite ligne de ceux que nous avons écoutés la semaine dernière. Rappelez-vous. C’était d’abord le prophète Amos, comme aujourd’hui, qui désignait les gens de son époque qui trichaient, qui faussaient les balances, diminuaient les mesures et se promettaient de profiter au maximum de la misère des petites gens. Puis Jésus qui nous disait que nous ne pouvions pas servir deux maîtres, en servant l’un on allait forcément négliger l’autre et il terminait son message par cette phrase sans ambiguïté : « Vous ne pouvez pas servir Dieu et l’argent. »
L’homélie tentait d’actualiser ces paroles en introduisant dans ces pratiques les dérives actuelles de la mondialisation, de la spéculation qui mettaient toujours ou presque toujours, l’argent, le profit bien avant l’homme. Avec un peu d’humour un paroissien m’a fait remarquer que mon homélie était un peu inspirée par des idées politiques. Il n’avait pas tout à fait tort, mais comment lire autrement ces textes qui nous montrent les deux visages d’une société où les profits des uns ruinent la santé et la vie des autres ?
Le texte de ce dimanche qui montre le fossé qui existe entre ce riche qui fait bombance et ce pauvre Lazare qui meurt de faim à sa porte ne peut pas être actualisé autrement qu’en montrant combien cette parole rejoint l’actualité de notre époque et de toutes les époques. Ce texte d’Evangile ne m’a jamais réussi dans mes prédications et, au moins par deux fois des paroissiens sont venu me dire à la fin de l’office combien mes actualisations étaient malencontreuses et trop catégoriques. L’un d’eux qui était avocat m’a dit , et je l’ai bien retenu, qu’il ne suffisait pas d’avoir des idées, encore fallait-il avoir des idées justes !
Je me suis souvent demandé pourquoi ce texte d’Evangile dérangeait autant les autres, avant de me demander pourquoi il me dérangeait si peu moi-même. Jésus s’adresse à ses contemporains, plus particulièrement aux pharisiens, grands donneurs de leçons, sur la morale, sur la justice, sur la religion, sur l’observance de la loi de Moïse et, sans doute, peu enclins à voir la misère des petites gens tout proche d’eux. Et pourtant la loi de Moïse, si elle donne beaucoup de prescriptions cultuelles, exige aussi une attention toute particulière aux petites gens de l’époque : Les veuves, les orphelins, les immigrés, les malades.
On peut lire dans la loi de Moïse : « Tu ne molesteras pas l’étranger , tu te souviendras que toi-même tu as été étranger au pays d’Egypte ; Vous ne maltraiterez pas une veuve, ni un orphelin, Si tu prends en gage le manteau de quelqu’un, tu le lui rendras avant le coucher du soleil, car il lui sert de couverture ; Si tu rencontres l’âne de ton ennemi, tombé sous sa charge, ne reste pas à l’écart, aide le à relever sa bête ; Tu n’exploiteras pas le salarié humble et pauvre , donne lui chaque jour son salaire, il en a besoin pour vivre qu’ il soit un des tes frères ou un étranger ; Quand tu fais la moisson, si tu oublies une gerbe, ne viens pas la chercher elle sera pour l’étranger, la veuve ou l’orphelin ; Si tu es juge dans un procès, tu ne négligeras pas les droits des plus faibles » et sans doute beaucoup d’autres passages du Deutéronome, du livre de l’Exode ou du lévitique.
Mais il est plus facile, aujourd’hui comme hier, de pratiquer une religion de principes rituels qu’une religion qui ne sépare pas le service du frère, du culte rendu à Dieu. Pour caricaturer, il est plus facile de faire maigre le vendredi que de passer du temps avec un petit vieux du quartier ! A plusieurs reprises Jésus reproche aux pharisiens leur religion qui met en pratique tous les détails du jeûne, de la prière, des ablutions rituelles, des pratiques alimentaires, de la dîme strictement payée sur toutes les plantes du jardin mais qui se désintéresse de ce qui arrive aux autres.
Nous avons tous en mémoire la parabole du bon samaritain, cet étranger qui voit le blessé au fond du fossé alors que le prêtre et le lévite passent leur chemin. Là encore l’attitude de Jésus reste notre modèle. Quand il est venu chez nous, il a vu les gens, il a vu le lépreux, les veuves, les détraqués mentaux, l’aveugle de Jéricho que personne ne remarquait, le centurion étranger, la cananéenne, la samaritaine, la veuve aux piécettes, Marie Madeleine, Zachée et tous les autres.
Jésus voit les gens, il les regarde.
Ce qui est reproché au riche de la Parabole, c’est de ne pas voir Lazare qui est assis à sa porte.
Et nous ? Qui sommes-nous appelés à voir ?
Les personnes âgées qui se cachent dans les maisons de retraite ou à leur domicile
ceux qui ne sortent plus
ceux qui sont différents par la culture, par la tenue, par le handicap plus ou moins dissimulé
ceux qui vivotent petitement
ceux qui viennent d’arriver chez nous et qui attendent peut-être un bonjour, un mot d’accueil, une offre de service.
Aujourd’hui notre pape François a voulu attirer notre attention sur les migrants, les réfugiés : le 25 Septembre devient la journée des migrants. C’est une question douloureuse qui nous laisse toujours mal à l’aise car nous avons tellement de clichés, d’a priori, d’idées toutes faites dans ce domaine. Notre Pape, et à travers lui le Christ nous invite à faire tomber l’armure pour accueillir, non pas tolérer, non pas parquer, non pas exploiter, mais accueillir.
Je rappelle la réponse d’un bon paysan de chez nous qui disait : « A la fin de ma vie, il y a des questions que si le Bon Dieu ne m’en parle pas en premier, ce n’est pas moi qui commencerait la conversation. »
Le riche de la parabole aurait bien aimé refaire l’histoire et ne pas faire les mêmes erreurs que dans son passé, mais il y a le fossé qui rend les choses impossibles. Il voudrait avertir ses frères pour leur éviter de faire les mêmes erreurs que lui, hélas c’est trop tard.
Dieu renvoie à Moïse et aux prophètes, ceux qui nous ont parlé dimanche dernier et aujourd’hui et en plus, nous avons Celui qui est revenu de chez les morts : Jésus, le Christ, le Dieu des passages qui peut nous aider à combler le fossé qui nous sépare des autres. Demandons son aide. Le psaume de ce jour nous y invite.
Père Jo Valentin
Homélie du 25 septembre 2022 Evangile Luc(16,19-31)
Illustration : Œuvre de Gaspar van den Hoecke (domaine publique wikigallery.org)